« Pour montrer de l’imprudence, il faut être sûr de soi » R Radiguet.
Né en France, Mexicain d’adoption, Emmanuel Picault vit à Mexico depuis l’an 2000. Un an plus tard, il ouvre dans la Colonia Roma sa première galerie baptisée Chic by Accident. La galerie est spécialisée dans le design mexicain du XXe siècle, carambolé formellement et esthétiquement en rencontres insolites par les autres courants majeurs du siècle. Son goût insolite, son humour insolent et sa vision décalée des choses auront tôt fait de rameuter une belle clientèle de collectionneurs, d’antiquaires, de décorateurs et de designers.on y vient pour l’ambiance exclusive néo-aztèque, la sélection unique en ville, l’imprimatur d’un homme doué pour entrer dans le décor, l’animation paisible d’un quartier à la mode.
Cette photographie première, pour ouvrir ce livre, dans la logique du monde devrait être la dernière ; elle a pourtant bien sa place en ce début de récit visuel, elle en est son aboutissement, on peut même jouer avec sa couleur, la publier en noir et blanc et puis aussi lui restituer ses couleurs originales, celle de la lumière réelle du lieu, juste filtrée par un bouillonné de soie beige qu’on ne voit pas, qu’on devine presque. Le tapis au sol, celui acheté « à l’heure ou blanchit le matin », celui vendu parce que convoité par un client à peine eut-il touché le sol. Sur un fond noir, des fleurs de couleurs, quatre groupes, quatre bouquets sur un fond noir. Le noir est intact, c’est impressionnant la profondeur de ce noir. Comme pour célébrer ce noir à la lumière, j’ai demandé qu’on le déroule sur le trottoir devant la boutique, je l’ai nettoyé, Je ne comprends rien si je ne touche pas. Ce nettoyage n’a rien d‚une caresse, c’est un contact, une prise directe avec l’objet, comme une prise de position, je ne suis pas le tapis, le tapis n’est pas moi ; j’en définis son état de faiblesse, son possible usage, sa capacité. Voilà on le porte comme un corps à l’épaule, il prend place, il attend. Le tapis au sol attend qu’on vienne lui associer d’autres objets, un psychanalyste dirait qu’il attend qu’on vienne le signifier, moi, je marche dessus et je réfléchis un peu angoissé « à pourquoi j’ai acheté ce tapis ».
On regarde la photographie et on comprend le tapis, on regarde le tapis et on comprend les meubles, le pourquoi des lumières, des couleurs, des associations, rien ne justifie la composition si ce n’est la prétention d’agir. Et puis voilà le travail est connu, reconnu, il est célébré, avec des mots comme des troupeaux de mots qui vont à la messe, aux sacrements. Et les mots disent tous la même chose, célèbrent tous le même sens, éclairent tous le même point, portent tous la même ombre : le sacre du bon goût. Alors pour faire mentir les courtisans du palais, pour que cesse sans cesser l’inextinguible séduction, repartir vers d’autres objets, frôler la laideur, l’absurde et le néant ; repartir vers la matière source d’étonnement, source de courage, d’imprudence… recommencer.
Emmanuel Picault
Dessin du livre Chic by Accident tout azimuth…
Helena dessine la marque, illustre les idées d’Emmanuel, remet en page le draft et accompagne le galerie dans toutes ses envie …