Natures mortes
En 1952, Charles Sterling, le spécialiste de la nature morte en peinture déclarait « Une authentique nature morte naît le jour où un peintre prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d’organiser en une entité plastique un groupe d’objets. Qu’en fonction du temps et du milieu où il travaille, il les charge de toutes sortes d’allusions spirituelles, ne change rien à son profond dessein d’artiste : celui de nous imposer son émotion poétique devant la beauté qu’il a entrevue dans ces objets et leur assemblage. »
Qu’ajouter de plus à cette analyse subtile ! Si ce n’est qu’elle est toujours d’actualité si on l’applique à un autre medium : la photographie.
Colombe propose une série de « natures mortes » s’inspirant des grands tableaux considérés comme des Master de la discipline. La Nature morte au verre, La Nature morte au jambon, Verre d’eau et cafetière, Nature morte et bien entendu la Nature morte à la pie de Lucien Schmidt, où le beurre, la serviette et le contenant en porcelaine ont été gommés au profit d’un lac de lait dans lequel se mire la pie ! Chacune de ces œuvres a été revisitée par Colombe toujours avec l’obsession de mise en exergue des éléments clés de chaque tableau en les contemporanéisant.
Dans une volonté assumée d’en proposer une nouvelle lecture post-moderne. Le travail de Colombe est en effet un lien fort entre passé et futur par ses propositions originales et puissantes où l’émotion affleure en permanence.
La Laitière
Qui ne connaît pas la figure emblématique de La Laitière, tableau que Vermeer a peint en 1658. C’est l’oeuvre la plus célèbre du peintre et sans doute de l’histoire de la peinture. Il se dégage du tableau du calme et de la tranquillité autour de cette femme aux formes généreuses qui s’adonne paisiblement aux travaux domestiques. Une douce clarté partage l’espace entre zones d’ombre et de lumière, et vient illuminer la nature morte du premier plan : le pain dans la corbeille.
Colombe a donc choisi cette incontournable et évidente référence pour en extraire l’essence de la composition. La Laitière gironde est ainsi détournée en laitier habillé trendy, l’action de verser reste inchangée sauf que les objets sont ancrés dans notre quotidien du XXIe siècle et la fenêtre a ici été remplacée par une boite à lumière. La quiétude est au rendez-vous comme si la douceur du geste traversait les siècles.
Bacchus
L’on s’accorde à dire qu’il y a deux manières de représenter le dieu Bacchus en peinture. Soit ivre et âgé. Soit jeune et en train de séduire Ariane. Dans Le Jeune Bacchus malade, Caravage a innové en optant pour une toute autre composition. Un Bacchus individualisé, accoudé sur une tablette en pierre où repose une nature morte – composée de pêches et de raisins noirs – tenant à la main une grappe de raisins blancs qu’il semble vouloir porter à sa bouche mais sans doute dérangé dans son geste.
Action déjà très photographique. Colombe a donc pris inspiration sur cette œuvre majeure et propose un jeune Bacchus revisité. Le regard est toujours tourné vers le spectateur, le raisin blanc a été remplacé par un verre de lait. Et l’étonnement du jeune modèle semble indiquer qu’il a été surpris voire dérangé dans son action de boire le précieux breuvage.
La Cène
À l’image de sa Cène, Colombe Clier ne propose pas une énième représentation à l’identique d’un tableau historique mais plutôt d’en extraire la substantifique moelle (un personnage, un geste, un objet, une intention, etc.) et de la transposer dans des codes contemporains. C’est ce travail d’épure mêlé au liquide originel qui fait la douce puissance des œuvres présentées ici.
Lacs
« Donner à la banalité un pouvoir de réflexion » se plaît à répéter Daniel Spoerri à propos de son travail. Cet artiste d’origine roumaine qui a commencé par la danse à Bâle est arrivé à Paris en 1959. C’est là qu’il a commencé ses désormais célèbres tableaux pièges où il collait sur des planches de bois des objets ramassés dans sa chambre d’hôtel. Puis très vite il s’est tourné vers la nourriture point de départ du eat art. « Organisant des repas à thèmes (menus serbe, hongrois, suisse…) servis par des critiques d’art Spoerri va transformer les tables abandonnées par les convives en « tableaux-pièges », fixant lui-même les reliefs de ces repas sur les tables pour les exposer – une fois redressées – aux murs du restaurant »*.
Une réflexion sur le comestible qui a toujours suscité l’attention des artistes à l’image d’Hunger Pains qui créé aujourd’hui des vêtements entièrement réalisés avec de la vraie nourriture et bien avant Arcimboldo et ses visages en légumes.
Colombe Clier a donc repris l’idée des tableaux nourritures de Spoerri pour créer 3 frises-tables de 3m. Tous les éléments semblent avoir été emportés par une déferlante de lait qui laisse surnager des fromages, des assiettes, une cafetière et son sillage de café, etc. Des détails des frises sont reproduits et accrochés aux murs de la galerie, à l’image des tableaux de Spoerri.
Il y a dans le travail de Colombe pour la Milk un vrai retour aux sources. Car la question soulevée ici en filigrane est bien évidemment celle de la peinture comme ancêtre de la photographie. Tel un peintre, Colombe propose ici une grande rigueur dans le cadre et la composition qu’elle ordonne patiemment pendant des heures.